S’il avait vécu le présent hiver, Émile Nelligan n’aurait sûrement eu aucune difficulté à écrire sa célèbre ligne tirée du poème Soir d’hiver. Notre hiver est définitivement moins sombre et triste que les états d’âmes de notre grand poète. Bien sûr, avec autant de neige, émergent quelques problèmes logistiques que notre savoir-faire québécois a toutefois su maîtriser. L’abondance de neige reçue dans la région de Québec, hiver après hiver, a inspiré plusieurs créateurs et entrepreneurs qui ont su transformer cette neige en une offre touristique exceptionnelle.
Je parcourais récemment un article portant sur un rapport du consortium Ouranos, un regroupement d’experts sur les changements climatiques, dans lequel on pouvait lire qu’en conséquence d’une augmentation de la fréquence des redoux, le domaine skiable des Cantons-de-l’Est pourrait subir une baisse de 20 à 30 % d’ici 2050. Bien que cette région soit située plus au sud que la région de Québec, on ne peut rester indifférent à de telles prévisions. Cette nouvelle nous paraît tout de même assez surprenante lorsqu’on la situe dans notre réalité actuelle. En effet, au moment d’écrire ces lignes, il était tombé près de 400 cm de neige sur la Ville de Québec depuis le début de l’hiver. Et encore, c’est beaucoup moins que les quantités de neige enregistrées au stations de ski du Mont-Sainte-Anne (590 cm) et de Stoneham (500 cm) à la fin du mois de février.
Exploiter la richesse de notre « or blanc »
Au-delà des tourments occasionnels qu’elle peut causer, la neige, tel un véritable artiste, a su créer des tableaux d’une grande beauté qui contribuent à la féérie du Vieux-Québec. La blancheur et la pureté du couvert neigeux constituent un matériau fertile pour l’illumination. Le soir venu, les quartiers touristiques de Québec brillent de mille feux et semblent tout droit sortis d’un livre de contes.
Et même si plusieurs Québécois en profitent à chaque hiver pour aller passer une semaine dans les destinations soleil, ils n’en passent pas moins près de vingt semaines dans la neige. Et ils sont légion à en profiter pour dévaler les pentes, chausser leurs patins, explorer nos forêts en raquette ou dévaler les glissades en poussant des cris de joie. Pas étonnant donc que nos entrepreneurs ont su en profiter pour développer une véritable industrie de l’hiver. Et cela est particulièrement vrai pour l’industrie du tourisme.
Il est de notoriété que la haute saison touristique se situe, au Québec, de la fin juin à la mi-octobre. Au-delà de l’été indien, on assistait traditionnellement à un ralentissement important de l’activité touristique. C’est ce qui a poussé un groupe d’hommes d’affaires de Québec à créer, il y a de cela 65 ans, le Carnaval d’hiver de Québec. Jusqu’au milieu des années 90, le Carnaval et le Tournoi international de hockey Pee Wee constituaient l’essentiel de notre offre événementielle hivernale. Selon moi, il y a eu un fait marquant, un point tournant qui nous a fait prendre conscience qu’il fallait bouger et se remettre en question. En effet, le 15 juin 1995, le Comité international olympique accordait les Jeux olympiques d’hiver de 2002 à Salt Lake City qui, avec 54 votes, avait largement devancé la candidature de Québec qui n’en avait récolté que sept.
Malgré les chauds rayons de soleil qui nous réchauffaient en ce début d’été 1995, ce fut une véritable douche d’eau froide pour les promoteurs de la candidature de Québec et de son industrie touristique. Dans les jours qui ont suivi, les leaders de l’industrie se sont réunis pour réfléchir et se pencher sur les pistes de solutions susceptibles de permettre à Québec d’être la Capitale de l’hiver qu’elle prétendait être. Cette réflexion a débouché, non seulement sur des projets de développement et de consolidation de notre offre touristique hivernale, mais également sur des investissements plus importants pour mettre en marché les mois de décembre à mars.
Un boom événementiel
Depuis le début des années 2000, pendant que le Carnaval continuait d’évoluer et, avouons-le, de se chercher un peu, de nombreux événements hivernaux ont vu le jour. Red Bull Crashed Ice, Snow Board Jamboree, Penthatlon des neiges, Festivités du Jour de l’an à Québec, Marché de Noël allemand, Coupes du monde de ski de fond, Mois Multi, pour n’en nommer que quelques-uns. Alors que certains de ces événements n’ont plus lieu, comme le Red BullCrashed Ice, d’autres ont connu et continuent de connaître une belle progression. Je pense ici, entre autres, aux festivités du Jour de l’an sur la Grande-Allée.
Cette programmation, en plus de constituer un pouvoir d’attraction pour de de plus en plus de visiteurs, a permis surtout aux citoyens de la région de se réapproprier leur ville et de traverser l’hiver dans la joie. Je l’ai toujours cru, la base du succès d’un événement, c’est le support et la participation de sa communauté. Quand on réussit à attirer des dizaines de milliers de personnes sur la Grande-Allée pour défoncer la nouvelle année, ont créé un amalgame idéal de visiteurs et de résidents. Et il en est de même pour la Coupe du monde de ski de fond sur les Plaines d’Abraham, couronnant la fabuleuse carrière du grand Alex Harvey. Cet événement sportif de haut calibre regroupe les meilleurs athlètes de la discipline au monde.
S’il est important de développer de nouveaux événements, il est fondamental de protéger et de consolider ceux qui ont donné le ton et qui perdurent depuis des années. Je pense ici bien sûr au Carnaval et au Tournoi international de hockey Pee-wee. Le Carnaval a amorcé un virage à 90 degrés qui, on vient de le vivre, n’est pas toujours évident. Mais la dernière chose que l’on peut reprocher au Carnaval, c’est de ne pas avoir fait preuve d’audace et de courage. Provoquer le changement est un exercice risqué mais parions qu’à moyen et long terme, ça risque d’être payant. Quant au Tournoi Pee-wee, cet événement longtemps sous-estimé, vieillit très bien et il a su s’imposer indéniablement comme le plus grand tournoi de hockey mineur au monde.
Respirer la ville à pleins poumons
Si les citoyens et les visiteurs ont de plus en plus l’occasion de profiter du caractère festif de Québec, on peut également affirmer que l’abondance d’activités de plein air, au centre-ville comme dans la périphérie, constituent un puissant appel à aller jouer dehors et à se remplir les poumons d’air frais. Qu’on pense aux plaines d’Abraham avec ses sentiers de ski de fond et son anneau de patinage, à la patinoire de Place d’Youville, à la glissade de la Terrasse Dufferin, à l’adrénaline que nous offrent les glissades du Village Vacances Valcartier, au Village Nordic et à sa pêche blanche au Bassin Louise, les opportunités d’activités en plein air sont nombreuses. Et pour plusieurs, une promenade dans le Vieux-Québec ou dans les quartiers centraux constitue tout simplement une merveilleuse occasion de prendre un bol d’air frais tout en appréciant toute la beauté de Québec. Et pour leur offrir un peu plus de chaleur au cours de ces promenades, 12 stations chaleureuses ont été aménagées à différents endroits dans la ville. On y retrouve des chaises ainsi que des couvertures, un foyer au gaz, des bottes de foin pour se protéger du vent et une cabane ou un chauffe-terrasse qui attendent les passants à chacune des stations. Même s’il n’est pas localisé au cœur même de la ville, je ne saurais oublier l’Hôtel de glace. Pensé et développé par Jacques Desbois, un entrepreneur passionné et visionnaire, l’Hôtel de glace est une démonstration éloquente de l’art de célébrer l’hiver, la glace et la neige. Aujourd’hui situé au Village Vacances Valcartier, c’est non seulement un hôtel mais surtout un attrait unique qui accueille, année après année, des milliers de visiteurs.
Et pourquoi pas en profiter davantage
Dans l’évolution qu’a connu la saison d’hiver au cours des dernières années, je trouve qu’on n’a pas exploité pleinement tout le potentiel touristique que nous offre notre hiver, sa neige et certains événements. J’en prends comme exemple la décision du Carnaval de Québec d’abandonner le concours international de sculptures sur neige. Peut-on trouver un meilleur événement signature pour mettre en vitrine notre maitrise de la neige? Ces sculptures monumentales attiraient et émerveillaient à chaque année des milliers de visiteurs. Je me permets donc d’espérer qu’on prendra conscience du potentiel énorme de ce concours et qu’on l’inscrira de nouveau dans la programmation hivernale.
Une autre opportunité qu’on n’exploite pas pleinement selon moi est le Marché de Noël allemand. Celui-ci se termine le 23 décembre alors que l’achalandage touristique du temps des fêtes ne s’est même pas encore manifesté. Il me semble que ce beau produit saurait enrichir l’expérience offerte aux visiteurs pendant le temps des fêtes, tout en permettant aux marchands et exposants du marché de faire de bonnes affaires.
Enfin, le Carnaval propose depuis des décennies, la Course en canot sur les glaces du Saint-Laurent, un événement sportif qui constitue lui aussi une signature unique pour Québec. On a beaucoup amélioré les installations sur les quais pour permettre d’apprécier davantage le spectacle. Mais, il serait intéressant d’en profiter encore plus en médiatisant la course par une captation télé qui utiliserait pleinement la technologie. Je pense ici aux caméras montées sur des drones et aux équipements (caméras et micros) embarqués dans les canots afin de transmettre toute l’adrénaline des canotiers. De telles techniques ont fait leurs preuves dans d’autres disciplines sportives comme les grandes compétions de cyclistes et de planche à neige.
La neige et l’hiver sont, si bien exploitées et appréciées, de grandes richesses et font définitivement partie de notre ADN. Alors, pourquoi ne pas en être fiers et les exploiter pleinement?
Mon coup de cœur musical : L’album En amont d’Alain Bashung. La productrice et musicienne, Edith Fambuena, a réellement créé un chef-d’œuvre en retravaillant les onze titres composés par l’interprète avant son décès. Son hésitation aura valu la peine, car il s’agit d’un album posthume à part entière.